Pour la sortie de la collection Balmain, les magasins H&M ont été pris d’assaut, Londres. (Ray Tang/REX Shuttersto/SIPA)
Mauvaises Matières – Mauvaises Manières
LE PLUS. Ils étaient des milliers de clients à faire la queue à l’entrée des magasins H&M pour le lancement de la collection Balmain. Cette ruée était-elle justifiée ? Comment expliquer que des marques de luxe s’associent à la célèbre marque “fast fashion” suédoise ? Décryptage de cette frénésie par Gérald Cohen, attaché de presse dans la mode.
Le 5 novembre dernier H&M a démontré à celles et ceux qui en doutaient encore que nous vivons dans un monde nouveau dirigé par l’Asie, internet et les femmes.
Le luxe vidé de son sens a remplacé la qualité
La mode est un fabuleux observatoire de ce monde qui change. Il y a 20 ans, Didier Grumbach inventait les “membres invités” en conviant les “jeunes créateurs” de l’époque à défiler pendant la Haute Couture Parisienne afin d’insuffler un peu d’adrénaline aux vieilles dames endormies de la couture française. C’est ainsi qu’il contribua, aux côtés des groupes de luxe, et de leurs directeurs artistiques, à refaire de Paris la capitale mondiale de la mode.
Aujourd’hui, les financiers ont installé à la tête des studios de créations des grandes maisons des bancs de stagiaires encadrés par des as du marketing avec comme directives de multiplier les collections, les saisons, les campagnes de communication et autres co-branding pour augmenter les ventes et mieux rémunérer leurs actionnaires. Alber Elbaz a récemment fait les frais de cette recette chez Lanvin.
Les “it girls” et autres opinions leaders payés à coup de “K Like” sur les réseaux sociaux (ceux qui ont des millions de followers) ont remplacé les journalistes.
Le luxe vidé de son sens a remplacé la qualité. Les robes et manteaux fabriqués en Asie ne contiennent plus que 20% de laine et la viscose est en passe de devenir officiellement une matière “naturelle”.
La robe à un dollar plutôt que l’indignation
Les consommateurs semblent avoir déjà oublié leur indignation lors du drame du Rana Plaza au Bangladesh et ses 1.135 morts. À la veille de COP 21 à Paris, l’industrie de la mode semble obnubilée par un seul objectif : la robe à un dollar.
Aujourd’hui, ce n’est plus la Fédération de la couture qui “invite”, mais H&M, célèbre marque de “fast fashion” suédoise, concurrente de l’espagnole Zara dont le propriétaire est devenu l’homme le plus riche du monde loin devant les actionnaires des principaux groupes de luxe et autres industries des apparences.
Non seulement les grands designers servent de sources d’inspirations à la “fast fashion”, mais la tristesse, c’est peut-être qu’ils ont besoin de H&M pour être rentables.
Même le e-shop de H&M a crashé
Et ce n’est plus la presse papier qui invite les clientes à découvrir une nouvelle collection dans les mégas “concepts stores” planétaires de fast fashion mais un hashtag. Lancé sur les réseaux sociaux, en mai dernier, par Ann-Sofie Johansson, “creative advisor” chez H&M le hashtag #HMBalmaination a précipité des centaines de milliers de femmes sur les grilles fermées de la fameuse maison de mode suédoise …
Même le e-shop scandinave, pourtant prévu pour absorber avec une impassibilité à la fois neutre et bienveillante toutes les cartes bleues de la terre, a fini par crasher.
Qu’y a gagné Balmain et ses collections ? Un chèque, et la démonstration que la marque et sa communication étaient plus importante que la création de ses collections 80’S, qu’on adore.
@H&M ! La prochaine fois, lancez votre # quinze jours avant la vente. Vos clientes sont des vrais gens. Fabriquer localement est un gage de qualité et d‘éthique.
Écrit par Gérald Cohen | LE PLUS – NOUVEL OBS.com | 09/11/2015