La marque de lingerie Aerie décolle grâce à ses mannequins à la plastique jugée plus réaliste. (Richard B. Levine/NEWSCOM/SIPA)

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LE PLUS. Des mannequins en maillot de bain pas retouchées, c’est possible ? Oui, c’est ce que fait la marque américaine Aerie qui a choisi de ne plus utiliser Photoshop pour ces campagnes publicitaires. Bilan ? Des plus en plus de commandes. La preuve que les consommatrices veulent de “vrais corps” non retouchés ? Non, affirme Gerald Cohen attaché de presse dans la mode. Explications.

Une marque de maillots de bain et sous-vêtements américaine pour femmes, Aerie, a fait le choix audacieux de se passer de Photoshop pour ses campagnes publicitaires officielles de ces deux dernières années.

“Pourquoi retoucher la beauté ?”, s’interroge la marque sur son compte Instagram. Une politique qui paie, puisque les ventes n’ont fait qu’accroître depuis. Mieux encore, Aerie est allé plus loin en permettant aux jeunes américaines de se montrer “telles qu’elles sont”, elles aussi sans retouche, en lançant les Hashtags #TheRealYouIsBeautiful ou #TheRealYouIsSexy.

Bilan ? Un buzz sur les réseaux sociaux et un succès commercial. Mais alors, Photoshop serait-il démodé ?

SDF, unijambiste et trisomique pour la Fashion Week

“LA vérité” est la vertu cardinale de l’Internet. Nous découvrons tous les jours ses mises en scènes, et sa tyrannie.

Il y a quelques années encore, les publicitaires et autres designers, reprenant le discours de Raymond Loewy, répétaient à l’infini à leurs clients que “La laideur se vend mal”. Les mannequins se devaient d’avoir une plastique affolante et des mensurations millimétrées pour qu’un public de femmes, dont plus de 40% d’entre elles s’habille en 44, s’identifie à elles.

Pourtant, depuis la fin des années 2000, les créateurs de mode avaient anticipé les limites de ce discours trop lisse, de ces mannequins trop élancés, parfois jusqu’à la terrifiante anorexie. Ils se mirent alors à faire défiler les laissés-pour-compte de la société : des SDF chez Jean-Paul Gaultier, une unijambiste chez McQueen, Madeline Stuart, une jeune mannequin trisomique, a même défilé en 2015 pendant la Fashion Week new yorkaise, quant à Desigual, c’est une mannequin atteinte de Vitiligo qui devint son égérie en 2015.

Pendant les défilés Hommes à Paris en juin dernier, les mannequins étaient couverts d’acné. Toujours dans le souci d’être au plus proche de la vérité du moment, la marque Vêtements, survêtement pour les fashionistas, vient de faire le casting de son dernier défilé sur Instagram, avec Brice Compagnon qui faisait déjà les castings sauvages des campagnes Benetton… dans les années 1980.

A la recherche des “vrais gens”

Partout cette conviction grandissante que les “vrais gens” seraient supérieurs à leurs élites. C’est le “populisme” comme réponse aux maux du nouveau monde. En apparence à l’opposé de la Burqa de H&M, la petite pièce transparente présente chez tous les Créateurs cet été est à la recherche de la même pureté… dangereuse.

Aujourd’hui, ce n’est plus à son miroir que la marâtre de Blanche-Neige demanderait qui est la plus belle, mais à Photoshop présent dans beaucoup d’ordinateurs malgré son prix élevé. Décrié, souvent condamné, il est pourtant devenu l’un des logiciels les plus vendus, et piratés par ses détracteurs.

Photoshop n’en essuie pas moins de plombantes critiques. On lui reproche notamment de “mentir” sur la vraie nature des mannequins, actrices, chanteuses… et des femmes en générale.

Photoshop n’est pas mort

Déjà de nombreuses actrices comme Kate Winslet, Kerry Washinghton et la mannequin Gigi Hadid s’étaient révoltées contre la machine à gommer leurs imperfections. Puis, de nombreuses stars comme Cameron Diaz et Cindy Crawford ont posté des photos d’elles sur Instagram #NoFilter, sans maquillage et parfois au réveil. Nan mais ! Indignez vous !

Ce besoin de ressembler à “madame tout le monde” plus qu’à la “girl next door” n’est bien sûr qu’un courant de mode, anecdotique, qui permet à des marques en mal de visibilité de créer le buzz sur les réseaux sociaux avec des réponses faciles aux angoisses de notre époque. Car les femmes, comme les hommes, préféreront toujours la beauté d’un mensonge à la tyrannie de la vérité.

Écrit par Gérald Cohen | LE PLUS – NOUVEL OBS.com | 08/07/2016